La transformation numérique au service d’une innovation

faisant fi de la bureaucratie

Le point de vue de Cheow Hoe Chan, CDTO du gouvernement du SNDGG de Singapour

Manjula Sriram, directrice des systèmes d’information chez Iridium

Cheow Hoe Chan
Directeur des technologies numériques

Comment les organisations du secteur public peuvent-elles développer une culture d’expérimentation et fournir des services efficaces aux citoyens tout en relevant les défis inhérents à la bureaucratie ? Rencontrez Cheow Hoe Chan, directeur des technologies numériques (CDTO) du gouvernement de Singapour, qui nous explique comment il a piloté la transformation numérique au sein du gouvernement singapourien au cours de la dernière décennie.

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Une version audio de cet entretien est également disponible sur le podcast Conversations avec des dirigeants. Écoutez en cliquant sur votre icône préférée ci-dessous.

Découvrez des conseils pratiques sur la manière dont les dirigeants du secteur public peuvent inciter efficacement leur personnel à innover. Consultez les détails de la conversation ci-dessous :

Pensez grand, commencez petit, évoluez vite

Des expériences numériques qui renforcent la confiance des clients

Cheow Hoe (02:13) :
Nous avons tous tendance à considérer l’innovation comme quelque chose d’énorme, une mission sur la lune, qui va influencer la Terre, mais en fait, on sait bien qu’il ne s’agit pas de cela. Parce que la transformation numérique est une question d’innovation constante. Et c’est là tout le défi. Comment commencer à créer une organisation, une culture, qui permette aux gens de continuer à innover, en particulier dans le contexte gouvernemental où ce n’est pas naturel, où la bureaucratie et les formalités administratives prédominent ?

Tom Soderstrom :
J’ai été directeur de la technologie et de l’innovation pour l’informatique au Jet Propulsion Laboratory de la NASA. L’une des raisons pour lesquelles j’ai rejoint AWS était de créer cette organisation de technologues en chef avec la conviction que le secteur public peut être au moins aussi innovant que le secteur commercial, sinon plus.

Cheow Hoe :
Au tout début, l’un des plus grands défis a été de recruter les bonnes personnes. La plupart des gouvernements n’ont pas de capacités innées et externalisent 95 % de leurs projets. Il est donc assez difficile d’innover quand on n’a pas vraiment les bonnes personnes et la bonne culture. Nous avons donc commencé par intégrer des personnes de tous les horizons : le secteur privé, les différents domaines du secteur public, les start-ups, les grandes entreprises, les petites entreprises, parce que je pense que c’est la diversité qui crée une culture de l’innovation.

Les gouvernements sont fondamentalement prudents, ce qui constitue un problème à bien des égards. Si quelqu’un a l’impression que ce que vous faites va faire exploser le gouvernement, personne ne vous aidera. C’est pourquoi je crois qu’il faut suivre ce mantra essentiel : « Pensez grand, commencez petit, mais évoluez très vite. »

Les gouvernements sont habitués aux grands projets. Chaque projet coûte 100 millions d’USD, 200 millions d’USD, 500 millions d’USD. Et lorsqu’un projet de cette envergure échoue, c’est extrêmement évident, très visible, et le public le saura. Ces projets ne doivent donc pas être des échecs. Mais vous et moi savons que l’innovation est synonyme d’échec. Si vous ne pouvez pas échouer, alors les personnes en charge seront très prudentes. Elles vont simplement sous-traiter la responsabilité et prier pour que la tâche soit menée à bien un jour, que ce soit dans trois ou cinq ans, mais elles auront déjà probablement changé de poste à ce moment-là. C’est vraiment un contexte qui freine l’innovation, selon moi.

Comment développer une culture de l’expérimentation

Des expériences numériques qui renforcent la confiance des clients

Tom Soderstrom (05:52) :
Comment avez-vous créé cette culture où il est permis d’expérimenter ?

Cheow Hoe :
Il s’agit vraiment d’amener les gens à proposer des idées pour résoudre un problème en leur imposant deux contraintes : très peu d’argent et très peu de temps. Avec le gouvernement, le problème est abordé de manière inverse. Vous leur donnez beaucoup d’argent et vous leur donnez beaucoup de temps, et les deux cas mènent à des projets catastrophiques. Donc, si quelqu’un vient nous voir avec une bonne idée, nous pourrions lui donner 50 000 USD et trois mois pour qu’il nous montre un résultat.

C’est ce que nous faisons, et il revient au bout de deux ou trois mois pour nous montrer son résultat. Et si ce résultat n’est pas probant, on tord le cou à son idée. Il doit réellement faire une autopsie. Quelles sont les leçons apprises ? Mais surtout, si ce prototype ou cette idée trouve un quelconque succès, nous lui donnerons plus de temps et plus d’argent. C’est ainsi que l’on progresse.

Vous limitez donc l’idée à 30, 40 ou 50 projets, puis tout d’un coup, vous passez à 10 ou 15, et nous savons que cela porte ses fruits lorsque, au bout de six à neuf mois, nous pensons que ce n’est pas une mauvaise idée. La personne a un prototype limité, qui a plutôt fière allure. Votre travail consiste alors à trouver une agence prête à travailler avec vous pour le mettre en œuvre. Il s’agit de la troisième partie, qui est très importante, car la plupart de ces hackathons et autres expérimentations ne voient pas le jour. Ils ont l’air bien, tout le monde en est tellement content, il en ressort du très positif, mais l’étape suivante est la plus importante. « Trouverez-vous un acheteur ? Pouvez-vous trouver un acheteur ? »

Tom Soderstrom :
J’aime la façon dont vous voyez l’agence gouvernementale comme un acheteur.

Cheow Hoe :
Nos collaborateurs doivent adhérer à l’idée, la soutenir, penser que cela a du sens pour eux. Et s’ils peuvent trouver un acheteur, nous voulons que l’agence cofinance les projets. Lorsque vous êtes impliqués, les gens sont beaucoup plus déterminés à avancer dans la réalisation du projet, puis, une fois qu’ils ont réussi, vient le moment de déployer le projet auprès d’autres agences et de le produire jusqu’à ce qu’il devienne durable.

Tombez amoureux du problème, pas de la solution

Des expériences numériques qui renforcent la confiance des clients

Cheow Hoe (10:06) :
Je vais donner un exemple. L’une des agences qui gère le numéro d’urgence 995 envoie l’ambulance aux services d’urgence. Ces personnes font face à un stress important. Le problème était que les ambulances n’arrivaient pas à atteindre les patients à temps car 70 % des appels étaient dus à un arrêt cardiaque. Vous avez 10 minutes. Si vous n’intervenez pas, la personne décède. Mes collaborateurs ont donc fait une simulation pour calculer le temps de trajet, en heures de pointe, en dehors des heures de pointe, etc. Nous avons cartographié ces données et pendant les heures de pointe, il vous faut 10 minutes pour faire environ deux kilomètres ou deux kilomètres et demi à cause des feux de signalisation et des embouteillages. Ça ne mène pas loin. Le seul moyen est donc de déployer des milliers d’ambulances, ce que vous ne pouvez pas vous permettre, n’est-ce pas ?

Nous avons parlé au chef du département, puis un jeune homme est arrivé et nous a demandé : « Pourquoi ne pas recourir à la production participative pour sauver des vies ? » Il a dit : « Nous avons besoin de volontaires. Nous créons une application simple, nous recrutons des bénévoles, des personnes ayant suivi une formation de la Croix-Rouge, des médecins, des secouristes, etc., qui ne sont pas en service, et s’ils sont à proximité du patient, nous les en informerons et ils pourront choisir d’aller l’aider. »

C’est donc une idée très simple. Trois personnes ont réalisé le programme en quatre mois environ, et nous l’avons lancé en tant que projet pilote. Au début, j’étais très déprimé, car il n’y avait qu’une centaine de volontaires. Mais la première vie a été sauvée, cela a été publié dans les journaux et, aujourd’hui, cette application compte environ 130 000 bénévoles. Tout à coup, vous êtes en train de couvrir le pays de bénévoles qui peuvent intervenir en premier, stabiliser la personne avant l’arrivée de l’ambulance.

Tom Soderstrom :
Et quelle chose incroyable pour la personne qui a eu cette idée.

Cheow Hoe :
Il fait toujours partie de l’équipe. C’est un jeune développeur. Il n’était pas le plus âgé. En fait, il était le plus jeune. Pour rebondir sur ce point, je pense effectivement que, lorsque vous commencez à écouter les gens, vous n’entendez généralement pas les bonnes idées sortir de la bouche des personnes plus âgées. Ce sont vraiment les jeunes sur le terrain qui sont les plus connectés.

Tom Soderstrom :
Il est donc très important de tomber amoureux du problème, pas de la solution, car le problème persiste. Et à de nombreuses reprises, nous avons découvert que la solution initiale était supplantée par une meilleure solution.

Cheow Hoe :
Et la partie amélioration est très intéressante. L’application initiale était très simpliste, elle n’avait rien de spécial. Ensuite, nous avons appris que nous devions également localiser les défibrillateurs à Singapour. Nous avons donc indiqué l’endroit exact où ils se situaient pour que les volontaires puissent les trouver. Ensuite, j’ai été stupéfait par une amélioration : l’ajout d’un bouton 995 dans l’application elle-même. Et j’ai dit : « Pourquoi vous faites ça ? » Encore une histoire d’utilisateur. Ils ont réalisé qu’il était préférable de placer un bouton 995 dans l’application pour appeler via ce bouton plutôt que depuis le téléphone. Savez-vous pourquoi ? Quand les gens appellent, ils paniquent et donnent la mauvaise adresse.

Donc, pour moi, ces idées sont importantes parce que vous commencez par quelque chose de petit, mais cela devient quelque chose de plus complet au fur et à mesure que vous avancez. Et cela résume bien l’agilité. Il ne s’agit vraiment pas d’aller créer une énorme application demain matin et de dépenser 50 millions d’USD pour la faire.

Déplacement des charges de travail des administrations vers le cloud, en toute sécurité

Le chemin vers de plus grandes conversions

Cheow Hoe (17:29) :
Le cloud est un voyage. Ce n’est pas une destination. Lorsque nous avons commencé notre transition vers le cloud, nous avons fait quelque chose de très simple. Nous avons pris tous les sites Web non confidentiels et de contenu et nous avons simplement créé un cloud commercial. Pourquoi ? Parce que personne n’était contre. Parce que ce n’est pas sensible, ce sont des informations publiques. Venait alors la série de charges de travail suivante. Il s’agissait là de la partie la plus délicate. Ces charges de travail contenaient des données sur les clients ou les citoyens, etc. La confidentialité devenait un problème. Ensuite, nous avons développé ce système appelé GCC, Government and Commercial Cloud, mais il s’agit toujours du cloud commercial, toutefois soumis à trois ou quatre restrictions. L’une d’entre elles était que les données devaient être à Singapour, ce qui était simple. Nous avons simplement utilisé la région de Singapour.

Et si les données sont stockées à Singapour, c’est parce que l’un des défis du cloud est son manque total de transparence. Imaginons que vos données résident à Tokyo, par exemple. Quand une complication survient, quelle loi s’applique ? C’est un gros problème. Mais si elles sont à Singapour, la loi singapourienne s’applique. Donc, si quelqu’un veut poursuivre le gouvernement pour atteinte à la vie privée ou autre, la loi s’applique. C’était donc une considération très importante, et elle n’est pas due à une quelconque paranoïa de notre part concernant les données. Il s’agit de l’applicabilité de la gouvernance, de la législation et des restrictions légales en matière de protection des données.

Venait ensuite notre deuxième mission.... Vous devez comprendre que la plupart des systèmes gouvernementaux étaient encore sur site à l’époque. La partie orientée client se trouvait probablement dans le cloud. Il fallait donc s’assurer qu’ils communiquent en toute sécurité. Un troisième point était très important pour nous. Nous faisions toujours appel à de nombreux fournisseurs. De nombreux fournisseurs ne sont pas natifs du cloud. Alors, comment s’assurer d’un niveau de sécurité de base à chaque mise en œuvre ? Parce que vous et moi savons, en tant que professionnels du cloud, qu’une mauvaise configuration constitue le plus grand danger en matière de sécurité dans le cloud. En cas de mauvaise configuration, tout peut arriver. C’est pourquoi nous avons attribué à notre système le nom de Government and Commercial Cloud. Cela nous a permis de transférer le lot de charges de travail suivant vers le cloud commercial. Lorsqu’il s’agit de données hautement sensibles, de charges de travail critiques, ces tâches deviennent de plus en plus difficiles. Nous voulions une fois de plus un autre niveau de protection. Plus de transparence, plus de résilience, de capacité de survie, de sécurité, vous comprenez ?

Tom Soderstrom :
Et tous les gouvernements partagent exactement les mêmes problèmes.

Cheow Hoe :
Aujourd’hui, Singapour a transféré environ 70 % de sa charge de travail vers le cloud. Personne ne peut affirmer la même chose. Et c’est parce que nous prenons cela au sérieux. Il s’agit de voir les choses en grand, mais nous avons commencé très petit. Nous avons commencé simple et petit, pour ensuite évoluer.

Citation

Le cloud est un voyage. Ce n’est pas une destination. »

Conseils aux dirigeants de gouvernements

Le chemin vers de plus grandes conversions

Tom Soderstrom (24:05) :
Si vous deviez donner quelques conseils à de futurs ou actuels dirigeants de gouvernements, quels seraient-ils ?

Cheow Hoe :
Le parcours numérique, le voyage vers le cloud, etc., sont des engagements énormes. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait en un an. Les hauts dirigeants doivent donc faire preuve d’engagement et de soutien. Parce que si ce n’est pas le cas, les risques d’échec sont assez élevés. C’est la première chose. C’est très important. La deuxième chose, selon moi, et la nécessité de renforcer les capacités. Les gouvernements d’aujourd’hui, la plupart des gouvernements, n’ont vraiment pas les capacités nécessaires ; et si vos dirigeants, vos managers ou vos collaborateurs n’ont pas les capacités, vous ne pourrez pas prendre les décisions nécessaires parce que la technologie est complexe. Il est très important de distinguer le fond de la forme à mesure que l’on avance.

Tom Soderstrom :
Oh oui. Je pense donc que ce sont des tâches essentielles à accomplir, et nous nous y sommes attelés dès le début.

Cheow Hoe :
Je pense que les leaders ne devraient pas être des managers. On ne manage pas. On fait. Il faut faire partie de l’équipe, mettre la main à la pâte. Parce que la gestion administrative pure ne permet pas d’aller aussi loin. Vous devez vraiment vous salir les mains parce que cela démontre votre responsabilité, votre engagement, ce qui, à mon avis, est très important.

Tom Soderstrom
Stratège d’entreprise chez AWS

Depuis juin 2023, Tom Soderstrom travaille en tant que stratège d’entreprise pour aider et accompagner les clients exécutifs dans leurs stratégies et actions de transformation et d’innovation. De 2020 à 2023, il a mis en place l’équipe mondiale de technologues en chef pour le secteur public AWS, chargée d’identifier les tendances technologiques émergentes, d’aider à résoudre des problèmes techniques complexes à grande échelle ainsi que de conseiller les directeurs techniques exécutifs du secteur public et les dirigeants d’AWS. De 2006 à 2020, Soderstrom a occupé le poste de directeur de la technologie et de l’innovation informatiques au Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, contribuant à définir, à soutenir et à mettre en œuvre des missions spatiales innovantes et les tendances informatiques émergentes ainsi qu’à encadrer la nouvelle génération d’explorateurs informatiques et spatiaux. Avant de rejoindre le JPL, il dirigeait des équipes spécialisées dans les technologies informatiques à grande échelle, les bonnes pratiques, le développement d’outils et les efforts de changement au sein de petites start-ups, de grandes entreprises commerciales, de sites internationaux et d’entités du gouvernement américain.

Cheow Hoe Chan
Directeur des technologies numériques (CDTO) du gouvernement de Singapour

Cheow Hoe Chan est le CDTO du SNDGG (Smart Nation and Digital Government Group) de Singapour, groupe intégré au cabinet du Premier ministre et qui dirige la numérisation des services gouvernementaux ainsi que le développement et l’application de technologies et capacités numériques à Singapour. Cheow Hoe possède plus de deux décennies d’expérience dans des postes de direction dans le cadre desquels il supervisait le développement et les systèmes informatiques à l’échelle de l’organisation. Il est également réputé pour avoir dirigé des professionnels de l’informatique dans des entreprises mondiales et de grands groupes ainsi qu’au sein de gouvernements, afin de fournir des systèmes et des solutions informatiques efficaces. Son expertise consiste notamment à orienter des organisations dans le cadre de changements transformationnels et à connecter l’informatique aux besoins de l’organisation.

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